Le blocage récent du site Japscan par la justice française marque un tournant dans la guerre menée par les éditeurs contre le piratage de mangas. Cette décision, attendue depuis des années, intervient dans un contexte de contraction du marché, où la protection des ayants droit est devenue prioritaire.
Piratage de mangas : une pratique de masse en France
Japscan proposait plus de 13 000 titres, incluant mangas, manhwas, manhuas, BD occidentales et comics, et rassemblait chaque mois près de 700 000 visiteurs uniques en France. Selon une étude Mangas.io, 83% des lecteurs de mangas consultent, au moins occasionnellement, des sites pirates — un chiffre qui illustre l’ampleur du phénomène dans l’Hexagone.
Cette pratique affecte directement les ventes : le marché du manga, en repli, a vu son chiffre d’affaires chuter de 13% en 2023 puis de 4% en 2024, et la baisse atteint 9,3% en volume pour le seul secteur éditorial mangas sur l’année 2024.
Les éditeurs français s’unissent contre Japscan
Pour la première fois, huit grandes maisons d’édition (Casterman, Delcourt-Tonkam, Glénat, Kana, Ki-oon, Kurokawa, Panini Manga, Pika) ont joint leurs forces au Syndicat national de l’édition (SNE) et à Crunchyroll pour obtenir, le 23 juillet 2025, une ordonnance judiciaire de blocage de Japscan et de ses sous-domaines.
Tous les grands fournisseurs d’accès à Internet (Orange, SFR, Free, Bouygues Telecom) ont ainsi reçu l’obligation de couper techniquement l’accès à ces adresses pour une durée de 18 mois.
Outre cette action inédite, le SNE appelle désormais à un renforcement du cadre légal pour permettre d’élargir plus rapidement ces blocages à d’autres domaines miroirs, et sollicite l’appui de l’ARCOM, à l’image de ce qui se fait pour le cinéma ou la musique.
Limites techniques et moyens de contournement
Le blocage par DNS et filtrage de nom de domaine reste aisément contournable par des moyens connus (VPN, changement de DNS ou multiplication d’URL alternatives). Si les sites pirates continuent à adapter leurs stratégies pour rester accessibles, des mécanismes d’actualisation des listes noires et de pressions sur les VPN se mettent progressivement en place afin de limiter les contournements à grande échelle.
Modèle économique des sites pirates : une illusion de gratuité
Japscan générait des revenus importants grâce à la publicité invasive et à des abonnements permettant de la retirer, tout en poursuivant une activité illicite et non rémunératrice pour les ayants droit.
Le site mettait en avant une justification « informative » et encourageait, dans ses mentions, l’achat des versions officielles, mais cette communication ne légitime en rien la violation des droits d’auteur.
Alternatives légales et enjeux pour la filière
La multiplication d’offres légales (Mangas.io, Manga Plus, Izneo) vise à répondre à la demande croissante pour du contenu rapide et accessible, proposant abonnements ou achats à l’unité sur mobile et tablette.
Les éditeurs insistent sur la nécessité de sensibiliser les 7 millions de lecteurs réguliers français à l’importance du respect de la chaîne du livre afin de garantir l’avenir de la diversité culturelle et la rémunération des créateurs.
Enfin, le blocage de Japscan, même s’il n’éradique pas le piratage, pose un nouveau jalon décisif dans la protection de la création. Il ouvre aussi la voie à une intensification des actions collectives et à un débat renouvelé sur la valorisation du manga, la légalité du numérique et les alternatives pour les lecteurs à la recherche d’un accès rapide, abordable et respectueux du droit d’auteur.