La justice française vient de franchir un nouveau cap dans la lutte contre le piratage numérique. Le 10 avril 2025, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné le blocage de 60 adresses web, marquant l’une des opérations les plus importantes de l’année contre les plateformes illégales.
Cette décision judiciaire cible 17 sites principaux et leurs multiples noms de domaine alternatifs, démontrant l’ampleur du phénomène de fragmentation utilisé par les pirates pour contourner les précédents blocages. Parmi les plateformes visées figurent des géants du piratage francophone comme Torrent9, Cpasbien et MonStream, qui totalisent respectivement 28, 8 et 9 adresses différentes.
Une stratégie de contournement de plus en plus sophistiquée
Les sites pirates rivalisent d’ingéniosité pour échapper aux mesures de blocage. Ils multiplient les extensions de domaine exotiques, utilisant des suffixes comme .ceo
, .men
, .ninja
, .gd
(Grenade), .cz
(République tchèque) ou encore .lc
(Sainte-Lucie). Cette diversification géographique exploite les juridictions plus souples en matière de régulation numérique.
L’ordonnance du tribunal prévoit un mécanisme d’actualisation dynamique, permettant d’adapter les blocages aux nouveaux domaines sans retourner devant le juge à chaque changement. Ce système révolutionnaire s’inscrit dans une logique de réactivité face à l’agilité des plateformes illégales.
Les FAI mobilisés avec un délai contraint
Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile disposent de deux semaines pour mettre en œuvre les blocages, applicables pour une durée de 18 mois. Cette obligation s’appuie sur l’article L.336-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui permet de contraindre les fournisseurs d’accès sans compensation financière.
L’ARCOM intensifie sa lutte avec des résultats mitigés
L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique a considérablement renforcé son action. En 2024, elle a obtenu le blocage de 3 797 sites illégaux, soit une hausse de 146% par rapport à 2023. Au total, 10 006 blocages ont été effectués depuis 2022.
Malgré cette intensification, les statistiques révèlent une stagnation du phénomène. La part des internautes français consommant illégalement du sport reste stable à 18% en 2024, contre 19% en 2023. Plus préoccupant encore, 41% des utilisateurs de services IPTV pirates sont de nouveaux venus, contre 26% l’année précédente.
Des outils technologiques renforcés
L’ARCOM a investi 200 000 euros dans des solutions automatisées pour accélérer la détection. Le logiciel DAD (Dispositif-Actualisation-Décision) permet désormais d’éditer un procès-verbal en moins de 10 minutes, contre un processus manuel bien plus long auparavant.
Ces investissements portent leurs fruits lors d’opérations ciblées. Lors du match PSG-OM, 171 noms de domaine ont été bloqués en deux vagues stratégiques, perturbant efficacement la diffusion illégale.
L’efficacité limitée face au contournement
Les chiffres officiels de l’ARCOM montrent une baisse de la consommation illicite de 22% à 16% entre 2021 et 2023. Toutefois, de nombreux utilisateurs contournent ces blocages via des VPN ou des DNS alternatifs. Cette réalité limite grandement l’impact des mesures judiciaires.
Une étude révèle que 46% des internautes confrontés à un blocage abandonnent immédiatement leur tentative, mais la persistance du phénomène démontre l’adaptation constante des utilisateurs.
Une législation en évolution
La France prépare une révolution juridique avec l’adoption d’une proposition de loi portée par le sénateur Laurent Lafon. Ce texte autorisera un blocage automatisé sans saisine préalable de l’ARCOM, permettant aux ayants droit de signaler en temps réel les nouvelles adresses pirates.
Cette évolution s’inspire des modèles espagnol, italien et britannique, plus réactifs face au piratage sportif. Un accord secret entre les diffuseurs et les quatre grands FAI français prépare déjà la mise en œuvre de ce système industriel.
Une guerre sans fin qui s’organise
Le blocage de 60 adresses marque une étape dans une guerre technologique permanente. Chaque mesure de blocage génère une contre-mesure, dans un jeu du chat et de la souris que les autorités tentent de rationaliser par des outils plus performants et des procédures accélérées.
L’efficacité de ces actions reste conditionnée à leur capacité d’adaptation face à un écosystème pirate en perpétuelle mutation. Les prochains mois détermineront si cette intensification judiciaire parviendra à inverser durablement la tendance ou ne constituera qu’une nouvelle escarmouche dans cette bataille numérique.